La CGE, Confédération Générale des Enseignants devient désormais CGé, ChanGements pour l’égalité. Après nous être penchés sur le passé de notre mouvement au travers d’un bref historique, nous en viendrons au présent, au changement de nom et à nos revendications pour le futur. Nous terminerons par un bref relevé de nos activités.
1. Historique
1970
Un profond malaise s’installe dans l’enseignement en Belgique. Déjà ! Les syndicats de l’enseignement sont vivement contestés et les politiques, dans leur majorité, ont d’autres chats à fouetter.
Dans ce contexte, des enseignants soucieux de participation et de pluralisme décident de lancer un mouvement qui se veut à la fois groupe de pression sur les syndicats et le politique, et à la fois partenaire et acteur sur le plan pédagogique.
Si le discours est daté, les revendications restent d’actualité : conditions matérielles insatisfaisantes (d’où revendications salariales) et « conditions morales » jugées inacceptables (être traités comme des exécutants, ne pas être associés aux choix pédagogiques, …)
Un manifeste, au printemps 70, appelle parents, responsables politiques et enseignants à appuyer ces revendications pour un « enseignement de qualité » (plusieurs fois dans les textes fondateurs… 20 ans avant les slogans des mouvements de 90-91 !)
1970-1971
Le manifeste est présenté aux quatre coins de la Wallonie et de Bruxelles et rencontre un franc succès : près de 15.000 adhérents au printemps 71. Ce sont des enseignants issus de tous les réseaux et de tous les niveaux (de la maternelle à l’université). Mais il y a un revers à ce succès, le discours rassembleur qui se voulait « au-delà des idéologies » réunit des gens très/trop divers :
– certains veulent que la C.G.E. devienne un super syndicat,
– d’autres rêvent d’un « ordre » des enseignants,
– d’aucuns plaident pour un mouvement pédagogique.
1972-1980
Au fil des années 70, c’est le courant « mouvement d’éducation permanente » pluraliste, avec une priorité au pédagogique, qui s’imposera petit à petit, du fait :
– des succès répétés des Rencontres Pédagogiques d’Eté (RPE),
– de l’engagement dans le secteur de la formation continuée,
– des blocages persistants avec les syndicats ( qui prétendent à un monopole de la représentation des enseignants),
Au tournant des années 70-80, la plupart des fondateurs (et adhérents) ont cédé l’outil à une équipe d’enseignants engagés en milieux populaires qui vont maintenir le pluralisme et donner une orientation nettement progressiste au mouvement :
– apparition du périodique ECHEC à l’ ECHEC,
– cycles Ecoles, crise et Immigration,
– rapprochement avec Hypothèse d’ Ecole,
– collaborations avec Education populaire, le MRAX, la Ligue de l’enseignement,…
1980-1990
Dans le courant des années 80, grâce à une stabilisation des objectifs et à l’engagement de travailleurs (permanents éducation permanente, CST, TCT, FBI,…), le mouvement pourra développer davantage d’activités :
– un centre de documentation,
– multiplication des cycles de formation,
– essor des RPE
– animation de groupes de réflexion avec d’autres acteurs sociaux
– production d’outils pédagogiques
– nombreuses publications
– participation à de nombreux colloques
– participation au démarrage des Zones d’éducation prioritaire (ZEP) et du travail sur l’interculturel
Ces années ont été marquées par le développement d’alliances et d’initiatives avec d’autres groupes et mouvements progressistes hors écoles ( Ecoles de devoirs, CASI-UO, GFEN, Lire et Ecrire, Ligue des familles, CBAI, … ). La réflexion sur les liens entre crise, situation dans les écoles et les quartiers populaires et politiques éducatives amènera la CGE à être un acteur et un inspirateur des grèves des années 90-91 et à prendre régulièrement la parole dans la presse.
1990-2000
LA CGE a poursuivi sa réflexion, ses formations et ses actions, à l’intersection des champs sociologique et pédagogique (échec scolaire des classes populaires, mécanismes de reproduction du système, constructivisme, pédagogie institutionnelle, rapport au savoir, …)
Il faut signaler l’étiquetage ‘catho’ dont la CGE a fait l’objet. C’est un fait qui tient, entre autres, au climat pilarisé de notre microcosme, au refus de privilégier une famille politique et au fait que plusieurs fondateurs étaient des travailleurs du réseau libre. Notre souci d’indépendance a été « cher payée » : refus de détachement pédagogique, méfiance de certains réseaux et syndicats, moyens très limités pour un travail considérable, …. Mais quel gain en termes de militance !
2. Changements pour l’égalité
Constats d’inégalité
L’enquête PISA 2000 (programme international pour le suivi des acquis des apprentissages) – à prendre certes avec certaines précautions que nous ne formulerons pas dans ce texte – a confirmé ce que bon nombre d’acteurs et d’observateurs de l’enseignement en communauté française de Belgique savaient déjà, à savoir l’inégalité produite par notre système scolaire.
Il s’agit d’une inégalité en termes de performances (compétences en lecture principalement, en mathématiques et en sciences plus secondairement).
1) 28 % des jeunes de 15 ans n’atteignent pas des compétences en lecture élémentaires alors que la moyenne de la zone OCDE est de 18 %.
2) Le score moyen de la Communauté Française-Wallonie-Bruxelles (CFWB) sur l’échelle de lecture est de 476 (moyenne de 500 pour la zone OCDE) et l’écart type, qui mesure la dispersion des résultats, est de 111 (le plus élevé avec l’Allemagne).
3) Si on considère l’écart entre les 10 % les plus faibles et les 10 % les plus forts, c’est encore la CFWB qui en tête.
4) Si on considère les résultats en fonction du niveau de formation des parents (c’est le diplôme de la mère qui est pris ici en compte), dans certains pays l’écart de performances, entre les élèves situés dans la catégorie inférieure et ceux situés dans la catégorie supérieure, est important. La CFWB occupe la deuxième position.
5) Si on lie la variation de performance des élèves à l’origine des parents (lieu de naissance du père), on obtient aussi des écarts importants dans certains pays et la CFWB occupe la cinquième position.
En bref, le système scolaire produit de l’inégalité et celle-ci est clairement liée à l’origine sociale des enfants. Ce qui veut dire que l’école ne comble en rien l’inégalité sociale de départ.
Causes
1) La situation de quasi-marché scolaire liée à la liberté de choix des parents quant à l’école fréquentée. Pratiquement, cela aboutit à des regroupements d’élèves suivant le milieu social et/ou suivant le niveau, c’est-à-dire à l’homogénéisation des publics. Cette dernière est corrélée selon des études internationales à la faiblesse et la dispersion des résultats.
Il faut ajouter que ce choix d’école est renforcé par la liberté de choix pédagogique des Pouvoirs Organisateurs des écoles, ce qui permet, par exemple, à l’une de développer un enseignement élitiste tandis que l’autre « s’adapte » à un public défavorisé.
2) Un système à différentiation précoce qui débouche sur le tri et la sélection des élèves. Il apparaît que les pays où l’on maintient un tronc commun d’enseignement sans filières, sans options, sans redoublement sont des systèmes plus égalitaires.
Changements
Comme tout système social, le système scolaire est composé de structures et de cultures.
Pour changer il faut agir aux deux niveaux, à la fois modifier les structures scolaires, pour lutter contre les effets du quasi-marché et à la fois modifier les cultures scolaires afin d’améliorer l’efficacité des apprentissages pour tous. Et cela en sachant :
– qu’on s’oppose à ceux qui ne prônent pas les mêmes changements, et qu’il s’agit donc d’une prise de position politique non consensuelle.
– que le système scolaire n’est pas un champ autonome mais qu’il est par exemple lié au champ socio-économique. On ne peut résorber ces inégalités sans lutter à l’inégalité contre les autres inégalités (emploi, revenus, logement, culture,…).
– que plus d’égalité conduit la plupart du temps à moins de liberté et inversement. Pour obtenir plus d’égalité, il est donc nécessaire de renoncer à certaines libertés.
Quelle égalité ?
La polysémie du terme permet à tous d’être d’accord sur des grands principes d’égalité. Il faut donc bien distinguer de quelle égalité on parle.
1) Egalité d’accès (N’importe qui peut entrer dans n’importe quelle école)
D’un point de vue légal, c’est acquis grâce à un certain nombre de mesures décrétales prises par à la CFWB. Il y a donc une égalité formelle d’accès mais d’un point de vue pratique, la double liberté, de choix pour les parents, pédagogique pour les P.O., fait que l’égalité n’est pas satisfaite.
2) Egalité de traitement (Les mêmes conditions pour tous)
Même qualité de bâtiments, d’enseignants, de ressources pédagogiques, …
Cela n’a jamais été le cas dans notre communauté, la liberté des institutions, des acteurs et des « consommateurs » conduisant par ailleurs à de larges différences entre établissements.
Les mesures de discriminations positives (D+) vont pourtant dans ce sens.
3) Egalité des chances
Le concept est flou. D’un point de vue statistique, elle pourrait se mesurer sans difficulté par la comparaison des pourcentages de population suivant le niveau de formation des parents ou suivant leur position sociale et les pourcentages d’enfants issus de ces différentes classes à un niveau d’études donnés. S’il y a, par exemple, 22,5 % de jeunes dont le niveau d’éducation du père est le primaire, on devrait retrouver 22,5 % de ces jeunes à l’université alors qu’on n’en retrouve que 15,9 %.
4) Egalité d’acquis (Arriver tous à un seuil commun)
C’est l’objectif poursuivi au travers des socles de compétences. Mais l’étude PISA montre bien ce qu’il en est dans la réalité.
5) Egalité de résultats (Arriver tous à un diplôme de même valeur)
C’est l’objectif poursuivi par les compétences terminales. Même si tous les jeunes vont à l’école jusque 18 ans, ils atteignent des résultats très inégaux et ont des opportunités très variables suivant la filière suivie, les options choisies, l’école fréquentée.
CGé revendique une égalité d’acquis, une plus grande égalité des chances et des mesures pour compenser l’inégalité de traitement
Pistes concrètes
1) Asseoir les réformes dans l’enseignement de base.
Rechercher une plus grande hétérogénéité des publics scolaires tant d’un point de vue social (instauration de la carte scolaire et perte du choix des parents) que du point de vue structurel (tronc commun d’enseignement jusque 15 ou 16 ans), semble difficile sachant que cela s’oppose à la culture des parents et des enseignants, et que cela nécessiterait des réformes de structure très importantes.
Par contre, on peut exiger que les objectifs recherchés en termes d’acquis par les réformes liées aux compétences socles soient réellement atteints. Il faut pour cela des documents plus concrets, plus lisibles
2) Subventions différenciées
Pour pallier à l’inégalité de traitement, on pourrait développer une subvention différenciée en fonction d’un indice de position sociale. C’est ce qu’on pratique en D+ à partir d’un indice école lié à l’environnement socio économique de celle-ci.
Il est projeté également d’accorder les bénéfices du refinancement de la St Polycarpe de façon inégale suivant un indice lié au revenu des parents des enfants qui peuplent l’école.
On pourrait cependant aller plus loin et ne pas se limiter à une modulation des seuls subsides de fonctionnement mais aussi moduler graduellement les moyens d’encadrement au travers du NTPP (nombre de périodes professeurs accordée par élève) ou au travers d’avantages pécuniaires ou autres donnés aux enseignants (créer une attractivité pour ces écoles réputées difficiles que beaucoup veulent éviter ou quitter). L’indice pris en compte pour les allocations pourrait être lié au facteur qui semble le plus déterminant, à savoir le niveau d’éducation de la mère.
3) Epreuves externes
Sans mesures externes des apprentissages, le système reste opaque. A partir d’épreuves externes, on pourrait mettre en place des dispositifs d’évaluation, non seulement des élèves mais également des écoles en prenant en compte « l’input, l’output et la valeur ajoutée » par l’école. On pourrait notamment, à partir de là, évaluer les écoles sur bases d’indices d’efficacité et d’équité. Il y bien sûr un certain nombre d’effets pervers à éviter.
4) Professionnalisation
L’enseignement est un métier collectif. La professionnalisation des enseignants s’entend dans le sens d’une réelle appropriation par les enseignants des conditions d’exercice de leur métier. Les enseignants ont perdu une bonne part de leur légitimité professionnelle face aux décideurs politiques, aux pédagogues, aux parents et même parfois auprès des élèves. La reconnaissance de la compétence professionnelle des enseignants passe par la reconnaissance de leur expertise professionnelle, leur capacité à dire les conditions dans lesquelles un objectif politique, social ou pédagogique peut effectivement se traduire dans les pratiques scolaires et atteindre son but . Cela suppose à la fois une valorisation du statut social d’enseignant, la sédimentation d’une culture professionnelle commune à tous les enseignants et par conséquent un exercice plus collectif du métier basé sur la reconnaissance mutuelle et complémentaire des compétences. Cet exercice collectif constitue la garantie d’une culture professionnelle capable de s’adapter, de s’évaluer, d’évoluer et de revendiquer de manière légitime les conditions techniques de l’exercice du métier. Cette légitimité retrouvée permettra aux enseignants d’être partie prenante dans les réformes dont ils se sentent tellement éloignés actuellement.
Au niveau de la formation, un besoin important reste à satisfaire par rapport au manque de conscience des acteurs du système, des mécanismes d’exclusion et de ségrégation.
3. Activités CGé
Pour atteindre les revendications exposées ci-dessus, CGé développe différents moyens d’action complémentaires. Ils sont de trois ordres : la formation, l’information et les productions politiques et pédagogiques
Formation
La formation continuée des enseignants durant l’année scolaire prend sa place dans les formations interréseaux (au sein du récent Institut de la Formation en Cours de Carrière) et dans les organismes de formation des réseaux. Nous avons développé notre propre conception de la formation dont une des options principales est de procéder par isomorphisme, c’est-à-dire de faire avec les enseignants « comme on dit qu’il faut faire avec des élèves ». Nous ne développons pas des « discours sur » mais nous mettons en avant des pratiques. Cette optique sous-tend plusieurs implications méthodologiques dont nous pouvons citer sans être exhaustif le socioconstructivisme, la mise en avant d’une logique d’élucidation et non de confrontation, la métacognition, des visées de transformation des participants et de changements institutionnels.
Nos formations s’organisent autour de quatre axes :
Axe 1 Conscientisation socio-politique
Niveau macro : « Introduction à la sociologie de l’éducation : mieux comprendre l’évolution de l’école pour mieux agir comme acteur socio-éducatif. »
Niveau micro : « Rapports au savoir des jeunes en milieu populaire : mieux comprendre pour mieux agir. »
Axe 2 Apprentissage socio-constructivistes
Module interdisciplinaire : « J’enseigne, mais eux apprennent-ils ? »
Axe 3 Pratiques démocratiques à l’école
« Violences à l’école – violences de l’école : de la loi à la parole et de la parole à la loi. »
Axe 4 Education au développement
« Quelle éducation pour quel développement ? »
Nous organisons depuis plus de trente années des formations au sein des Rencontres Pédagogiques d’Eté (RPé). Celles-ci offrent la possibilité à environ 300 enseignants de tous réseaux et de tous niveaux ainsi que des travailleurs du social de se former, se rencontrer et d’échanger leurs pratiques dans le cadre de formations à thématiques diverses, toutes centrées sur des approches de l’apprentissage favorisant la créativité et la réussite de tous, et en particulier des apprenants de milieux populaires.
Les ateliers programmés aux RPé (3 ou 6 jours) mettent en avant, outre l’échange d’expériences, le changement des pratiques des participants (pédagogie institutionnelle, entraînement mental, …) et le développement du langage corporel (expression, non-verbal, voix, chant …).
Information
Nous éditons depuis plus de 20 ans maintenant un périodique qui s’appellera dorénavant « Traces de changements » (anciennement « Echec à l’Echec »). Celui-ci est essentiellement produit par des gens de terrain : enseignants, formateurs, intervenants dans l’éducation permanente. « Traces de changements » fait le pari que l’engagement et l’action de travailleurs dans des lieux et avec des publics très diversifiés peuvent se renforcer et s’éclairer mutuellement. L’objectif principal du journal est de promouvoir la réussite de tous les enfants à l’école et l’émancipation des enseignants et de leurs élèves par le savoir quel que soit le lieu d’apprentissage.
Le centre de documentation et de publication de CGé est spécialisé dans les pédagogies actives et l’éducation interculturelle, dans les problématiques liées à l’exclusion sociale et culturelle des milieux populaires. Des thèmes extraits du plan de classement reflètent un tel souci : environnement social de l’école, rapport de l’école avec la famille, le quartier, le travail, scolarisation des enfants de migrants, situations d’apprentissages, enseignement multiculturel, interculturel, identités et expressions culturelles (milieux populaires, deuxième génération,…), société interculturelle, littérature (immigration, racisme, milieux d’origine), milieux migrants et populaires belges, …
Nous disposons également d’ouvrages de type général sur la pédagogie, les méthodes de pédagogies actives et notamment la pédagogie institutionnelle.
Soucieux de favoriser le débat public sur les questions travaillées en son sein et qui lui tiennent à cœur, CGé met des conférencier(ère)s, tou(te)s membres de notre mouvement, à la disposition des écoles et d’autres institutions ou associations intéressées. Plus de vingt sujets de « conférences-débats à la demande » sont actuellement proposés aux publics potentiellement intéressés.
Productions politiques et pédagogiques
CGé se tient au courant des enjeux actuels concernant le monde de l’enseignement et de l’éducation et prend position par rapport à ces enjeux. Ces prises de position sont diffusées via notre périodique ou par voie de presse écrite principalement (cartes blanches). Ces productions ont pour but d’interpeller les différents acteurs du monde de l’éducation. Elles ont concerné récemment le refinancement de la Communauté française, la pénurie d’enseignants, la professionnalisation du métier d’enseignant, la politique des discriminations positives, les pratiques démocratiques au sein des établissements scolaires et évidemment la question de l’égalité dans l’école.
Cgé met sur pied également des groupes de praticiens réflexifs, par discipline ou par thématique. Ces personnes interrogent leur pratique et produisent des outils de réflexion.
17.08.03