Rien ne vaut de se pencher sur une réalité concrète pour mesurer, à la fois, l’intérêt que pourrait avoir la participation démocratique des jeunes à la vie de leur école, l’impasse où elle se trouve tant que celle-ci est maintenue dans la misère, et l’ampleur des besoins.
D’abord, une évidence. Vivant à l’école au quotidien, autant sinon plus que les enseignants, les élèves sont parfaitement placés pour observer les défauts de leur environnement, imaginer de meilleurs aménagements et les revendiquer. A l’atelier de mécanique, ce sont eux qui utilisent les machines et qui risquent d’y laisser leurs doigts. En classe, ce sont eux qui souffrent du courant d’air causé par la vitre brisée dont on attend la réparation depuis des semaines. Et ne parlons pas de l’état des sanitaires, point névralgique s’il en est de tous les établissements scolaires…
L’intérêt de la participation des élèves
La sécurité, l’hygiène et l’embellissement de l’école auraient tout à gagner d’une participation des jeunes. En effet, elle ne pourrait que contribuer à l’amélioration du cadre de la vie scolaire. De plus, une telle politique serait éminemment éducative. On imagine aisément les progrès que feraient les enfants si on leur confiait la mission de détecter les risques d’accident et les défauts en tous genres de leur école. On pourrait, à travers cette action, aborder concrètement de nombreuses matières scientifiques et techniques (hygiène alimentaire, bactéries, feu, matériaux, physique, chimie, énergies, écologie, etc). La recherche de solutions serait une excellente occasion de travailler l’expression écrite et orale des enfants (écrire des lettres pour obtenir des informations, s’expliquer avec la direction ou participer à un comité de prévention et de protection au travail, organiser des campagnes pour le tri des déchets à l’école et pour promouvoir l’écoconsommation, etc). Toute cette démarche, enfin, permettrait de les familiariser avec des préoccupations plus politiques, sociales et philosophiques, telles que la dignité humaine, la recherche du bien commun, la responsabilité, le conflit social … Elle serait une façon on ne peut plus concrète d’apprendre l’action collective.
« Participez » qu’ils disaient …
Malheureusement, quand on jette un oeil sur l’histoire récente de la Communauté française de Belgique, force est de constater que les nombreuses consultations des usagers de l’école sont restées lettres mortes. Regard dans le rétroviseur.
1991 : l’école sort d’un grand mouvement de protestation des enseignants (contre des mesures d’austérité). Un large débat sur l’école s’est ouvert. Le Conseil de la Jeunesse d’Expression Française (CJEF), organe consultatif réunissant les organisations de jeunesse de la communauté, décide de participer au débat et mène une enquête auprès de 1200 étudiants du secondaire. Sur l’infrastructure scolaire, cela donne un refrain désolant. Les jeunes se plaignent de bâtiments et de classes insalubres et vétustes (WC, cuisines et réfectoires sales). La qualité des repas laisse à désirer … pour des prix jugés trop élevés. Ils dénoncent, plus particulièrement dans le technique et le professionnel, le non-respect des normes de sécurité. Ailleurs, les classes sont trop petites ou mal chauffées. Ils souhaitent par ailleurs que l’école devienne un cadre plus agréable, agrémenté de verdure.
1992 : Radioscopie de l’enseignement en Communauté française de Belgique, travail interuniversitaire portant sur le fonctionnement des écoles fondamentales et secondaires des trois réseaux. Cette fois, c’est la participation des professeurs et des directeurs qui a été sollicitée : « Etat des locaux : le « local type » oblige l’éclairage artificiel toute la journée; le mobilier est vieux de plus de dix ans; portes et fenêtres fonctionnent mal; l’acoustique est mauvaise. Matériel pédagogique : les auteurs s’inquiètent de la carence en équipements en état de fonctionnement; la maintenance du matériel pose un problème; le budget consacré aux frais de fonctionnement, aux bâtiments et au matériel est dramatiquement insuffisant » (Le Soir, avril 92). Radioscopie remise à M. Di Rupo, alors ministre de l’Education.
1995 : ce sont cette fois les étudiants qui ont débrayé durant plusieurs semaines. Laurette Onkelinx, qui a succédé à Di Rupo, a réussi à contenir le mouvement, entre autres en en appelant à la participation de tous ! En effet, élèves, enseignants et parents ont été invités à débattre des objectifs de l’école et des moyens nécessaires à son bon fonctionnement lors d’Assises préparées par des Agoras locales et/ou thématiques. Et rebelotte, dans la synthèse, la vétusté des bâtiments et l’exiguité des locaux apparaît comme un sujet de préoccupation majeur.
Depuis lors, quoi de neuf ? En avril ’99, j’animais, sur le thème de la sécurité, de l’hygiène et du cadre de vie scolaire, un atelier réunissant des délégués de classes venus de Liège, de Bruxelles et de Namur. Le constat, quelle que soit la filière d’enseignement, était affligeant. Les jeunes, une fois lancés sur ce sujet, quasiment intarissables. Ce qui ne faisait que confirmer les témoignages fraîchement recueillis par l’Aped pour son Livre noir du financement de l’enseignement en Belgique, paru en mars de la même année : chute de plafonds, trop peu de locaux, pas de préau dans une école qui, pourtant, investit dans un nouveau hall de sport, rapports de pompiers alarmants, appareils de laboratoire défectueux, etc.
Et ce ne sont ni les cyberclasses installées ces dernières années -au détriment d’autres investissements- ni les miettes du « refinancement » qui changeront fondamentalement la donne.
« Cause toujours »
Dix années -au moins- de conseils d’élèves, d’agoras, d’assises, d’audits, de livres noirs, de manifestations, de grèves… et toujours rien de significatif à l’horizon. Dix années d’actions des étudiants… et toujours pas de réponse. Tout ça pour ça ?!
Et si le noeud du problème n’était pas la citoyenneté des jeunes, mais bien l’abandon progressif et continu de l’école par les pouvoirs publics depuis le tournant des années 80 ? La part du PIB que l’état belge lui consacre est passée de 7 % à moins de 5 % en vingt ans. Les plus cyniques -ou les plus lucides- des observateurs diront que les appels à la participation des étudiants, appels lancés -la main sur le coeur et dans une touchante unanimité- par la classe politique, n’étaient que des leurres destinés à distraire les étudiants d’un agenda caché : celui qui consiste à laisser se dégrader la situation dans l’enseignement public pour livrer ses meilleurs morceaux à diverses formes de privatisation. L’on sait, en effet, combien le lobbying patronal pousse les ministres dans ce sens.
Pour une vraie citoyenneté
La participation démocratique que nous revendiquons est tout autre. Nous sommes prêts à voir les étudiants participer -aux côtés des travailleurs- aux comités de prévention et de protection au travail. Les remarques et les suggestions légitimes des élèves doivent déboucher, dans des délais raisonnables, sur des réalisations tangibles. Ce qui nécessite du répondant de la part de la direction de l’école… et des budgets dignes de ce nom.
L’apprentissage de la citoyenneté à l’école ne peut se résumer à découvrir et à se soumettre aux limites de la démocratie telle qu’elle fonctionne actuellement, une démocratie formelle -de façade- pour des politiques anti-démocratiques -parce que anti-sociales- guidées par les seuls « impératifs » de profit pour une caste de nantis. Au fond, si l’école n’a pas l’argent nécessaire pour rénover et entretenir les sanitaires, si, effectivement, l’école ne parvient pas à faire face à tous les investissements urgents réclamés par les élèves, c’est sans doute que cet argent file prioritairement dans la poche de ces mêmes nantis, par divers mécanismes économiques votés par les politiques, dont les dernières réformes fiscales (qui réduisent l’assiette fiscale des pouvoirs publics, autrement dit leur capacité à investir dans les écoles).
En faire prendre conscience aux étudiants, en étayant ces assertions de manière rigoureuse, bien sûr, et accepter qu’ils se battent collectivement pour plus de justice dans la distribution de la richesse, ne serait-ce pas là précisément faire oeuvre d’éducation à la citoyenneté ?
Un dernier exemple pour la route : il est de bon ton dans de nombreux établissements d’initier les jeunes à la gestion responsable des déchets : audit environnemental, tri, recyclage, etc. Fort bien ! Pourquoi ne pas y ajouter une étude des mécanismes capitalistes qui poussent à la surproduction de déchets ? Et remettre en question le pourquoi et le comment d’une telle société de consommation ? Qui gagne à ce que les jeunes -et leurs parents- surconsomment de la sorte, au prix de l’épuisement de plus en plus rapide des ressources de la planète et de catastrophes industrielles et écologiques de plus en plus spectaculaires et nocives ? Si nous voulons nous targuer du titre d’école démocratique, nous nous devons d’inviter les jeunes à s’engager contre cette logique, pour une politique plus rationnelle et responsable.