Délégués de classe ou investis dans une action « citoyenne » au sein de leur école, les jeunes sont-ils bien en train de découvrir et de développer la démocratie ? Rien n’est moins sûr. Ce que chacun-e d’entre nous entend par « participation démocratique » recouvre des réalités fort différentes et parfois diamétralement opposées. Peut-on parler de participation démocratique quand le délégué de classe est chargé de collecter les fonds pour l’excursion, d’escorter un condisciple « délinquant » chez le préfet, de surveiller la classe en l’absence du prof ou d’effacer le tableau ? Peut-on parler de participation démocratique quand quelques délégués d’élèves sont noyés parmi de nombreux adultes, véritables « pros » de la réunion, au sein du Conseil de Participation de leur établissement ?
Peut-on parler de participation démocratique quand la direction rêve de voir les élèves animer la vie de leur école, pour la rendre plus attractive dans un contexte de concurrence avec les écoles voisines, sans rien remettre en cause par ailleurs ? Quand la direction tente d’utiliser les délégués pour mettre le grappin sur le(s) coupable(s) de déprédations dans les toilettes ? Quand on présente, à l’occasion de visites au Parlement par exemple, les institutions de l’Etat comme le nec plus ultra insurpassable de la démocratie ?
Ces quelques exemples concrets -et vécus- illustrent l’urgence de définir la participation démocratique, si l’on veut éviter de se fourvoyer dans des expériences inefficaces -mais qui peuvent manger beaucoup d’énergie- ou, pire, des expériences contre-productives, qui dégoûtent les jeunes de la démocratie.
Des élèves actifs et critiques
Si l’on prononce le mot démocratie, vaguement, tout un chacun dira qu’il s’agit d’un mode d’organisation, quelque part entre le laisser-faire et la dictature. Avec une définition aussi vague, presque tout et n’importe quoi peut se targuer d’être démocratique …
Plus précisément, nous devons situer la participation démocratique dans une tension entre la coopération et le conflit (1). Une coopération conflictuelle où les élèves sont à la fois associés et contestataires. Associés dans la mesure où ils peuvent prendre une part active à leur apprentissage, à la vie de leur école et à la vie sociale. Contestataires dans la mesure où il leur est possible d’exercer leur esprit critique et de s’opposer aux gestionnaires de l’école -et aussi, surtout, aux responsables politiques- quand leurs positions et leurs intérêts l’exigent. Par conflit, nous n’entendons pas obligatoirement violence ou mauvaise entente entre les personnes, mais bien une opposition visant à faire changer les choses. Ainsi, le délégué de classe peut coopérer à la bonne marche de l’école en consultant ses condisciples et en relayant leurs désidératas auprès de la direction. Ce qui n’en fait pas nécessairement un larbin au service de celle-ci. Il doit pouvoir s’y opposer, organiser des actions collectives -pourquoi pas une grève ou une manifestation- pour défendre l’emploi dans les écoles, réclamer un refinancement de l’enseignement ou marquer leur opposition à la guerre.
Trois autres attitudes sont possibles et observables, attitudes qui nous éloignent de la participation démocratique. L’associé asservi coopère avec le pouvoir mais lui est entièrement soumis : l’écolier parfaitement discipliné, le bon petit soldat et -on peut prendre les paris- le futur travailleur flexible qui ne fait jamais de vague. Le marginal contestataire, lui, comme son nom l’indique, conteste et combat le système sans s’y impliquer. Position difficilement tenable pour un étudiant puisqu’il s’expose à l’exclusion pure et simple. Reste le marginal asservi, qui ne coopère pas, mais ne conteste pas non plus : l’élève « présent de corps, mais absent d’esprit », en voie de décrochage scolaire. Ayons l’honnêteté de reconnaître qu’il arrive à tout un chacun, élève comme enseignant, de passer alternativement par les quatre attitudes. En effet, en l’absence de bonne volonté et/ou de moyens dans le chef du pouvoir, il ne reste souvent que ces comportements pour survivre dans l’institution.
De l’importance des enjeux
Ce qui détermine également l’attitude du démocrate, c’est l’importance et l’urgence de l’enjeu auquel il est confronté. Le choix des couleurs des portes des nouveaux WC élèves est moins vital que de savoir si oui ou non, enfin, après des années d’attente, nous aurons des sanitaires dignes de ce nom.
La participation démocratique réclame donc des élèves à la fois actifs et critiques, associés mais capables de s’opposer, conflictuels mais capables de coopérer quand le projet en vaut la peine.
Voilà pour l’attitude, mais cette définition reste insatisfaisante : dans le monde des adultes, tous les acteurs sociaux sont forcément actifs et critiques. La droite critique la gauche, les syndicats le patronat, la gauche « caviar » la gauche de la gauche, etc. Très activement. Ce qui m’amène à penser que la participation démocratique ne peut se définir que par des choix de société, un projet, une idéologie cohérente.
Une boussole
La ligne de conduite de l’Aped est connue. Nous refusons que l’éducation à la « citoyenneté » se résume à « une espèce d’instruction civique visant à inculquer la foi dans la société occidentale, avec la liberté de marché comme centre de gravité » (2). Nous entendons que chaque « citoyen » accède aux savoirs qui donnent force pour comprendre le monde dans ses multiples dimensions – sociale, technologique, scientifique, historique, économique, culturelle, philosophique, artistique – et qui permettent de prendre une part active dans la transformation collective de ce monde vers plus de justice, d’équité et de rationalité. Alors, la citoyenneté est la plus belle des missions que puisse remplir l’école. Pour nous, toute participation des jeunes à leur apprentissage et à la vie de leur école doit les conduire, eux, l’école et la société, vers plus d’égalité -de résultats et non simplement « de chances »-, plus de justice, plus de solidarité, plus de raison … autrement dit moins de misère matérielle, culturelle et sociale, moins de soumission à un ordre établi injuste, moins de ségrégation -entre « manuels » et « intellectuels », entre jeunes d’origines différentes, moins de compétition, de concurrence, moins de distributeurs Coca-Cola, etc…
Une telle révolution ne se fera pas par génération spontanée. Il y faudra des conditions et des moyens.
Des conditions et des moyens
Si l’école veut promouvoir une authentique citoyenneté démocratique des élèves, elle devra multiplier les propositions et les espaces de participation : conseil de tous dans la classe, délégation, conseil d’élèves, certes, mais aussi pédagogie active, écoute, possibilités de recours, groupes d’élèves réunis autour de projets, coopération scolaire sous forme de parrainages ou d’écoles de devoirs entre pairs, canaux de communication tels que radio d’école, valves, journal, gestion des espaces collectifs que sont la cafétéria, la salle de détente, la cour de récré, sorties et rencontres, créativité, etc. Les élèves doivent se voir accorder -ou doivent conquérir- des objets de participation jusqu’ici réservés aux adultes : la raison-même de leur présence à l’école, la construction de leurs savoirs, mais aussi l’organisation et la gestion de l’école qu’ils fréquentent … sans oublier l’action politique quand il s’agit de faire valoir leur point de vue à cet échelon. Souvenez-vous de l’influence des enjeux sur la motivation des élèves : il ne peut être question de les amuser avec des détails, genre couleur des bacs de fleurs dans la cour, sur le temps que les « grands » continuent de décider entre eux du règlement des études.
L’expérience montre aussi que la motivation des jeunes s’épuise vite si l’institution manque de répondant. Il est assez aisé d’élire des délégués de classe, d’organiser avec eux une consultation de l’ensemble des étudiants et d’établir sur cette base une liste de revendications. Encore faut-il leur garantir une répondant et un suivi de qualité. Malheureusement, il n’est pas rare de voir la direction mettre 6 mois avant de répondre aux sollicitations des étudiants (« Oui oui, je vais y penser « ). Rien d’étonnant dans ces conditions que d’année en année, l’enthousiasme pour le conseil d’élèves s’étiole … Autre condition de la motivation des élèves : le soutien d’enseignants et d’éducateurs avisés. Et là aussi, ça coince : pratiquant un métier de plus en plus ingrat et digérant difficilement les défaites des mouvements sociaux de 1990 et de 1996 et les nouveaux programmes, ces derniers sont peu disponibles, pour ne pas dire découragés. Sans compter qu’il leur est souvent impossible de croire en la bonne volonté démocratique de leur direction et de leur pouvoir organisateur, tant ceux-ci se moquent de leurs organes de concertation (conseil d’entreprise, comité de prévention et de protection au travail, délégation syndicale).
La participation des élèves, comme celle des enseignants, demande des moyens considérables.
Il faut du temps, des locaux, de l’encadrement, des budgets et un cadre légal. Dans l’horaire des cours et dans le NTPP (les heures-professeurs organisables par l’école), où sont les heures qui permettraient de se réunir pour s’informer, négocier ou réaliser des projets ? Où sont les locaux adaptés à ce genre de démarche (espace forum, salle polyvalente, locaux réservés aux étudiants) ? De quels moyens dispose l’école pour favoriser la communication en son sein (valves, journal, radio, site internet) ? De quelle transparence la direction fait-elle preuve dans la transmission des informations concernant la collectivité ? Où sont les budgets spécifiques nécessaires à toutes les actions citoyennes (visite de camps de concentration, réalisation d’une exposition, formation -initiale et continuée- des délégués de classe par une organisation de jeunesse spécialisée, représentation théâtrale dans l’école, journal d’école, collaboration avec les associations extérieures à l’établissement, etc) ? Qu’est-ce qui protège l’étudiant qui prend le risque de s’exposer en prenant la défense d’un condisciple injustement puni ou en prenant la parole au nom du conseil d’élèves (instance de recours, protection légale) ?
L’énumération, loin d’être exhaustive, des conditions de la participation démocratique des jeunes à l’école illustre à merveille combien il est illusoire d’attendre son avènement dans l’école que nous connaissons à ce jour, hormis quelques miracles dus à l’abnégation de professeurs, d’étudiants et de directions exceptionnellement inspirés.
Pour une école démocratique
Il nous semble que la participation démocratique des élèves apparaîtrait bien plus naturellement et aisément dans une école « révolutionnée » suivant ces quelques principes, contenus dans le texte fondateur de l’Aped, d’ailleurs (3). Des discriminations (massivement) positives en faveur des enfants pour qui l’école est le seul moyen d’accéder au savoir. Un encadrement optimal, permettant de constituer des classes de 15 élèves. Un encouragement de toutes les méthodes favorisant une réussite scolaire de haut niveau chez les enfants d’origine populaire. Un financement à hauteur de 7 % du PIB (pour moins de 5 % actuellement). Une gratuité entière de l’enseignement, y compris supérieur. Des groupes-classes hétérogènes, mêlant des jeunes de différents « niveaux », de différentes origines sociales et nationales, filles et garçons … Une école publique, totalement indépendante des entreprises privées et des groupes de pression patronaux (retour à la case financement). La suppression de filières hiérarchisantes -et de la misère des cours généraux dans le professionnel- au profit d’un tronc commun. Pour tous, un meilleur équilibre entre formation générale et formation technique. Une attention toute particulière, dans les programmes, aux contenus permettant de comprendre les mécanismes de la misère, de l’exploitation, de l’injustice, de l’exclusion et d’évaluer les potentialités et les dangers des technologies, soit un enseignement qui aborde de front les contradictions de notre temps et déjoue les conditionnements et manipulations idéologiques de la « pensée unique ». Car il n’est de citoyen qu’un citoyen informé et pratiquant l’esprit critique.
Pour conclure
La démocratie ne peut se contenter de ravalements cosmétiques, une petite action symbolique par-ci, un petit conseil de participation par-là. Elle réclame des traitements de fond. De fond en comble, même. C’est à un véritable renversement des priorités qu’il faut procéder. Jamais le monde n’a été aussi riche que maintenant, jamais les connaissances et les technologies n’ont été aussi prometteuses. A qui voulons-nous qu’elles profitent ? La participation démocratique, c’est choisir son camp.
(1) La terminologie employée ici est inspirée de R. QUIVY, D. RUQUOY et L. VAN CAMPENHOUDT, Malaise à l’école, Les difficultés de l’action collective, Facultés universitaires St Louis, Bruxelles, 1989.
(2) Nico HIRTT, L’Ecole démocratique n° 11
(3) L’Ecole démocratique n° 1 ou site web : www. ecoledemocratique. org
> A la recherche d’une participation démocratique
J’ai été très intéressé et soutenu par le texte. Actuellement, je fais des recherches sur «l’importance de la participation des jeunes dans la vie politique de leur pays». C’est la première fois que je traite sur ce sujet et j’aimerai bien etre soutenu par des personnes comme vous. Contrairement a une grande partie des pays du monde, je viens d’un pays anglophone et francophone qui n’a pas la politique comme une priorité pour sa population. Mes recherches se terminent le 13 décembre 2004.
MERCI d’avance pour toute aide qui me sera possible.
A la recherche d’une participation démocratique
Ah bon !? Qu’entendez-vous par « école pour apprendre » ? Apprendre quoi ? En quoi ce que j’écrivais (en 2003) nierait-il l’importance des savoirs ? A quoi peut bien ressembler la démocratie dont vous vous revendiquez, si elle est allergique à une citoyenneté critique ?
Pour votre information, depuis lors, l’Aped a travaillé à cerner de manière plus précise ce qu’elle entend par école démocratique, l’Ecole commune.
http://www.skolo.org/spip.php?article341
Au plaisir de vous lire, hors anonymat peut-être ?