Secteur social, l’Ecole participe à la dynamique de la société. Elle permet de comprendre la société. On peut, à travers elle, lire les mutations de la société, non seulement passées, mais aussi en cours, donc projeter des avenirs possibles. Et aujourd’hui, nous sommes dans une période de mutation particulière. Mutation négative. Ainsi, il est question de parler de la mutation de l’Ecole dans une société en transition imposée et consentie vers un néo-libéralisme idéalisé, où tout ne serait plus que marchandise. Mutation de l’Ecole dans une société classée sous-développée, à développement humain moyen (PNUD), éligible à l’initiative PPTE. Société de 2,6 millions d’habitants, 13,7 millions de tonnes de pétrole en 2000, 5,5 milliards $ d’encours de la dette, trois guerres civiles de 1993 à 2000, 70% de la population urbaine (urbanisation nationale 62%) vivant en deçà du seuil de la pauvreté.
Pour comprendre la mutation de l’Ecole dans cette société congolaise, l’on ne peut faire l’économie du survol du passé récent, de la période pré – crise de l’endettement à la période critique.
De la colonisation au début des années 80
En matière scolaire, le Congo indépendant a bénéficié d’une situation relativement privilégiée, héritée de la colonisation. Brazzaville, sa capitale, était la capitale de l’Afrique équatoriale française, ainsi lieu de formations des « cadres » colonisés, les « évolués » dont avait besoin le système colonial, après la Conférence de Brazzaville (1944). D’où une infrastructure scolaire relativement importante. Un réseau public et un réseau privé chrétien ayant en 1960, année de l’indépendance, 112.000 élèves, du primaire au secondaire, pour une population nationale de 780.000 habitants, dont près de 25% de filles.
Héritage enrichi par la Loi scolaire de 1961 ayant pour principes : le droit à la scolarité pour tout enfant vivant au Congo ; une scolarité obligatoire de dix ans (de la première année du primaire à la quatrième année du secondaire, correspondant à la fin du collège, du système français en vigueur au Congo-Brazzaville) ; la gratuité des fournitures scolaires.
Cette loi de 1961 est abrogée et remplacée par la Loi scolaire de 1965 qui « nationalise », « laïcise » l’Ecole, en supprimant le réseau appartenant à l’Eglise chrétienne, transformé en propriété de l’Etat congolais. La scolarisation devient ainsi plus massive : dix ans après l’indépendance, la population scolaire, du primaire au secondaire a plus que doublé, passant des 112.000 de 1960 à 259.000 en 1970.
Le Congo est ainsi placé parmi les pays les plus scolarisés de la planète, avec un taux officiel de près de 95%. Près de 900 établissements, du préscolaire au secondaire ont été ouverts en une vingtaine d’années d’indépendance. Plus l’université de Brazzaville, cycle inexistant jusqu’en 1964.
Accompagnent cette scolarisation massive la subvention des fournitures scolaires par l’existence de l’Office national des Librairies populaires. La gratuité des fournitures scolaires n’étant plus considérée, l’Etat la remplace par des prix à la portée des revenus les plus bas. Un lycée sur trois possède un internat. Des élèves du secondaire reçoivent une aide scolaire ou bourse d’externat. Et, tous les étudiants régulièrement inscrits à l’Université, aussi bien à Brazzaville qu’hors du Congo sont boursiers.
Il y a aussi l’alphabétisation des adultes n’ayant pas été scolarisés pendant la période coloniale, pour laquelle le Congo reçoit le prix d’honneur de l’Unesco en 1970.
Malgré tout, il s’agit de la politique scolaire d’un Etat post-colonial, dépendant ou sous-développé, n’échappant pas au flagrant déficit en salles de classes, relativement résolu par la pratique du double flux , du primaire au secondaire (une demi-journée de cours pour la première moitié des élèves, l’autre demi-journée pour les autres, ndlr), au déficit en personnel enseignant, atténué par la coopération franco-congolaise et la coopération soviéto-congolaise en la matière, au déficit en matériel didactique, dans les zones rurales surtout, à l’échec massif aux examens (BEPC, BAC)… Un système scolaire assez éloigné de la perfection. Mais que la période suivante va faire regretter.
Ecole de la dette
Au début des années 70, le Congo devient une économie pétrolière. Situation favorisant un endettement critique, en ces temps où la Banque Mondiale incitait à l’endettement pour la croissance et le développement. Ainsi, de 1979 à 1980, la dette du Congo passe de 150 milliards Francs CFA à 270 milliards FCFA, avant la dévaluation du FCFA (1994), soit environ 425 millions de $ US et 770 millions $ US. Au lendemain du second choc pétrolier, elle s’élève à 1 milliard $ US. Insoutenable pour l’Etat congolais qui initie en 1985 son premier Plan d’Ajustement Structurel, renforcé l’année suivante sur recommandation d’une mission du FMI.
Parmi les premières cibles de l’Ajustement Structurel : l’Ecole, évidemment. Les acquis des deux premières décennies d’indépendance sont considérés inappropriés à la nouvelle vision du développement économico-social. Il ne faut pas continuer cette politique scolaire, pesante pour le Trésor public. Ainsi, le taux de scolarisation est réduit par le renvoi massif des élèves ayant dépassé l’âge scolaire, au niveau du secondaire. Les internats sont progressivement fermés, après une dégradation qualitative et quantitative de la ration alimentaire des internes. La bourse d’externat est octroyée de façon plus restrictive, puis suspendue. Quant à la bourse universitaire, elle est soumise à des conditions chaque fois plus discriminatoires – excluantes – et très irrégulièrement payée. La situation étant pire pour les boursiers congolais à l’Etranger. Avec la liquidation des entreprises non rentables, économiquement parlant, l’Office national des Librairies Populaires disparaît. Ce qui affecte l’accès aux fournitures scolaires des couches les plus défavorisées de la société. Le recrutement des fonctionnaires étant suspendu jusqu’au prochain coup de sifflet des institutions internationales, nombre d’enseignants sont employés par l’Etat sous le statut précaire et informel d’ » Appelés-Volontaires » et rémunérés de façon très irrégulière et aléatoire. La part du budget consacrée à l’Education est en baisse à la fin des années 90. ET quasiment affectée aux seuls salaires. Ainsi, le fonctionnement des établissements scolaires (achat des tables-bancs, des craies, des cahiers de texte, de papier, …) est devenue une charge des parents d’élèves, à condition de s’acquitter des droits d’inscription. Les élèves des milieux défavorisés, ne pouvant payer la note, sont souvent déscolarisés. La paupérisation est croissante depuis l’Ajustement Structurel [[caractérisé entre autres par le chômage massif et la baisse criante du pouvoir d’achat.]]: 70% de la population urbaine – le Congo étant urbanisé à 62% – vit sous le seuil de pauvreté.
Ainsi entre 1995 et 1999, 45% des enfants n’ont pas atteint la 8ème année de scolarité, la scolarité obligatoire étant pourtant de 10 ans. Certains d’entre eux sont devenus marchands ambulants des sachets, d’eau glacée, de beignets…. dans les marchés. Voire mendiants, « enfants de la rue ».
Vu la sensibilité – plutôt médiatique – de la Banque Mondiale à l’égard de la pauvreté, autorisation a été donnée à l’Etat congolais d’intégrer enfin à la fonction les « Appelés – volontaires », aussi pour faire face aux départs à la retraite. Mais le déficit en personnel enseignant demeurant criant, autorisation a été donnée de recruter des « bénévoles » de l’enseignement. Ces bénévoles étant le plus souvent pris en charge en zone rurale par les parents d’élèves, car les directions régionales de l’enseignement n’ont pas souvent de quoi supporter cette charge. Ces « bénévoles » sont en quasi – totalité des exclus du cycle secondaire, aussi bien du secondaire 2ème degré (lycée français) que du 1er degré (collège français). Un crime pédagogique quand on connaît le rapport que ces jeunes » bénévoles » entretiennent avec l’instruction.
D’autant plus qu’il est possible d’avoir des enseignants d’une autre qualité. Mais qui pourraient exiger un statut moins précaire. Or, d’après un expert de la Banque Mondiale : « il faut que dans les villages, les enfants aient un maître qui puisse leur apprendre à lire, écrire et compter. Mais il n’est pas nécessaire que ce maître ou cette maîtresse ait passé deux années à l’école normale après son baccalauréat et qu’il présente des exigences salariales considérablement supérieures à celles des parents des enfants à qui il ou elle doit fournir un enseignement » (Louis GOREUX, « Un premier bilan de la dévaluation du franc CFA, à la fin décembre 1995 », in Marchés Tropicaux…..du 26 janvier 1996).
Il y a une évidente régression, en qualité, comparativement aux années 60. Et l’Ecole est de plus en plus excluante, la discrimination par l’argent jouant pleinement.
Marchandisation et commercialisation de l’Instruction
Le Congo, sous Ajustement Structurel, caractérisé entre autres par le chômage massif et la baisse criante du pouvoir d’achat, n’a pas échappé à la libéralisation. En 1990, une nouvelle loi scolaire restaure le dualisme : l’école privée est de retour. Au départ, il s’agit d’écoles pour enfants des familles aisées, conscientes de la politique de dégradation de l’école publique. Depuis lors, les établissements privés prolifèrent, le plus souvent très en deçà des normes exigées par la loi. Les rares établissements respectant relativement les normes se distinguent par des coûts prohibitifs, censés correspondre à la qualité de l’enseignement dispensé. Certains appartenant au réseau français du Centre National d’Enseignement à Distance, à celui des Ecoles associées à l’UNESCO.
Mais cette Ecole privée n’est pas épargnée par la corruption de plus en plus banalisée dans la société. La concurrence entre établissements, pour avoir plus de clientèle, pousse certaines directions à l’organisation des fraudes pendant les examens de fin de cycle (BEPC, BAC) organisés nationalement (public et privé confondus) par l’Etat. Ce qui ne peut que faire douter de la supériorité qualitative de l’enseignement privé sur le public. Malgré les conditions de travail plus favorables (ratio élèves / classe, matériel didactique…) dans quelques établissements privés.
La dégradation de l’Ecole favorise, par ailleurs, l’entrée pernicieuse du privé dans le public.
La rareté des allocations aux établissements scolaires publics a favorisé l’appel aux « partenaires », comme ersatz de « l’Etat providence » défunt. Ainsi, en plus des Associations des Parents d’élèves, sont sollicitées les ONG, les Confessions religieuses, les institutions internationales et les entreprises privées. Dont ELF et AGIP, très redevables au peuple congolais. Et Chevron Overseas, récemment arrivée dans le champ pétrolier congolais, qui a doté la Faculté des Sciences – déplacée depuis la destruction de son site pendant la guerre politico-pétrolière de 1993-1994 – d’un laboratoire et réhabilité quelques bâtiments du lycée Technique de Brazzaville … Générosité motivée par la volonté de devenir un « partenaire » important dans l’exploitation pétrolière et de concrétiser une adéquation entre la Formation et l’Emploi. Volonté que le Programme Intérimaire Post-Conflit 2000-2002, agréé par le FMI et la BM, comme condition d’accès à l’Initiative PPTE, s’est engagé à réaliser. Vu le déséquilibre entre l’Enseignement général (80%) et l’Enseignement Technique et Professionnel (20%). Ainsi, on commence par contribuer à l’amélioration des infrastructures et on finira par imposer, subtilement, des programmes scolaires. En conformité avec l’idéologie néo – libérale.
Contre l’Ecole néo-libérale
Il y a un évident besoin d’Ecole dans la société congolaise. Les seigneurs actuels de l’humanité sont aussi, semble-t-il, conscients de la nécessité de l’universalisation de la scolarisation. Mais la conception de la BM et consorts met l’accent sur l’« Education de Base » (Jomtien, Dakar). Et, comme il existe des inégalités entre pays, le risque est très grand d’assister, pour toute universalisation de la scolarisation, à un nivellement par le bas. A un projet bien défini de régression en matière de scolarisation universelle. Qui nous conduirait bien loin de l’article 26 de la Déclaration Universelle des Droits Humains (1948) : « Toute personne a droit à l’éducation…. L’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits humains et des libertés fondamentales….. ».
L’article 13 du Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966, 1976) réitère ce droit en précisant le devoir étatique de généraliser l’enseignement secondaire et de rendre l’enseignement supérieur « accessible à tous en pleine égalité…. Et notamment par l’instauration progressive de la gratuité… » Ainsi, l’on pourrait dire que la Scolarisation Minimale Universelle doit se situer à la fin du Secondaire. Une scolarisation gratuite et démocratique. L’organisation de l’Ecole doit être débattue citoyennement, au lieu d’être laissée à la merci des technocrates, néo-libéraux actuellement. Mais pour y parvenir, il faut arrêter le train fou de la mondialisation néo-libérale. Pour changer de voie. Pour une mondialisation émancipatrice.
> Congo – Brazzaville : L’école, de l’endettement critique à la marchandisation
Merçi beaucoup pour ton article que j’ai beaucoup apprécié.une analyse de ce type pourra apporter amendement et correction à ceux qui se soucient de l’avenir de l’école. je vous lirai assez souvent. (jb)
> Congo – Brazzaville : L’école, de l’endettement critique à la marchandisation
j’attends impatiemment ; le role de l’ecole dans un pays sous developpé
> Congo – Brazzaville : L’école, de l’endettement critique à la marchandisation
Merçi d’avoir réalisé une tele anlyse. En vous félictant, je vous souhaite de lire aussi
J.BAUBEROT, Vers un nouveau pacte laïque? Paris? Seuil, 1990
C. KINAT, La formation du Clergé indigène au Congo- français 1875-1960, Paris,L’armattan.
Une fois de plus courage et merçi car votre réflexion conribue à ma thèse sur Le conéquentiasme du laïcité dans le système édcatif congolais.
> Congo – Brazzaville : L’école, de l’endettement critique à la marchandisation
Je voulais pas repondre exactement a votre article .je voudrais avoir un sujet sur le role de l’ecole dans un pays sous developpé
Congo – Brazzaville : L’école, de l’endettement critique à la marchandisation
Article passionnant et bien construit sur la question de l’enseignement au Congo et de son évolution il est complémentaire du rapport de l’UNESCO de 1969
j’aimerai connaître le nom des établissements secondaires nationalisés a Brazzaville j’effectue des recherches et je ne me souviens plus du nom du lycée ou du CET de fille centre ville non loin de la piscine des caïmans (aussi nationalisée )
merci
michel
Congo – Brazzaville : L’école, de l’endettement critique à la marchandisation
L’école à côté de la piscine caïman à bzv, c’est Javouet ancien Lumumba