Vautrés devant l’écran, sachet de chips à la main, un jeune garçon zappe, zappe, zappe, de « Loft Story » à « MCM » en passant par le « Big Dil » à longueur de soirées et de « prime time » primitifs. C’est son choix mais on ne peut pas plaire à tout le monde, alors – y’a pas photo – mais ça va se savoir : tout le monde va en parler sans aucun doute : on a tout essayé mais – ça alors ! – pas encore ceci : apprendre aux jeunes à déjouer les pièges des médias pour mieux en comprendre les enjeux.
Devant les médias, les enfants sont aussi inégaux qu’ils le sont face aux livres ou à la compréhension de notions abstraites. Lire, écouter, voir : trois sources de communication utilisées simultanément, juxtaposées dans un espace-temps contracté ou éclaté, visionnées dans des conditions différentes pour chacun, pénalisent davantage les enfants des milieux socio-culturellement défavorisés. Au lieu de faciliter leur compréhension du monde, elles constituent autant de handicaps, d’obstacles et d’écrans car leur impact immédiat rend difficile une analyse en profondeur de l’émotion qu’elles provoquent. Et si une image vaut cent mille mots, comment parvenir à la décoder avec des analphabètes télévisuels ? Le bricolage pédagogique ne suffit pas : il faut des outils, une méthodologie, une formation.
Partir de ce qu’ils regardent
Tentons de dresser ici une liste non exhaustive de possibilités existantes. Une première démarche simple, accessible à tous : partir des goûts, des émissions, des feuilletons préférés des étudiants et les décoder, prendre de la distance. Voir ou revoir un film ou une émission affine le regard et permet de nombreuses découvertes. Visionner « L’instit » en le comparant tout simplement avec le vécu de la classe devrait permettre de déceler de nombreux « décalages », incohérences et contradictions. L’analyse d’un film permet de mieux découvrir les intentions de l’auteur et les moyens utilisés pour y parvenir. Quelques angles d’approche : la comparaison entre le début et la fin, la recherche du fil conducteur de l’histoire, les éléments symboliques, les contrastes, les cadrages, les couleurs, le son, etc. Le réalisateur Alfred Hitchcock se disait directeur de spectateurs. A nous de rendre les élèves conscients de la manipulation et des conditionnements dont ils font l’objet lorsqu’ils regardent un film. A Liège, le centre culturel Les Grignoux (1) propose la projection de nombreux films pour adolescents accompagnés d’un dossier pédagogique. Des extraits significatifs de ceux-ci se trouvent sur son site. Le livret du film « Le cheval venu de la mer » offre ainsi une grille d’analyse qui peut aisément être transposée pour d’autres réalisations : découpage du scénario, organisation des connaissances, compréhension des motivations des personnages, etc. Rien n’interdit évidemment d’aller plus loin en posant d’autres questions, comme : au service de qui et de quoi agissent les héros ? Pour de nombreux jeux comme « Le maillon faible » ou encore « Attention à la marche », on peut étudier le rituel, la « dramaturgie » du spectacle : nombre de caméras, d’intervenants, couleurs, séquences, gradations dans l’émotion… Comment ces émissions conditionnent-elles et fidélisent-elles leurs spectateurs ? Sur son site, le C.N.D.P.(2) présente une multitude d’expériences et fournit des analyses filmiques, des activités scolaires d’éducation à l’image, des fichiers pédagogiques pour observer « les dessous des médias ». Le dossier consacré au « Big Dil » démonte ainsi les mécanismes de ce jeu : le choix et la manipulation des candidats, le dispositif de mise en scène, les différents acteurs de la production, etc.
Faire découvrir autre chose
Des programmes de qualité, qui font appel à l’intelligence et à la sensibilité existent et nous devons inciter les jeunes à les regarder, même s’il faut regretter la prédominance des lectures psycho-affectives et non-conflictuelles qui les caractérisent parfois : « Dunia », « Faut pas rêver », « Faits divers » ou des émissions didactiques et distrayantes qui remplissent une réelle mission de service public comme « C’est pas sorcier », « Forts en tête » ou « Va savoir ».
Des méthodes actives
Une méthode active consiste à produire un document vidéo, à jouer des effets spéciaux pour en comprendre les mécanismes. Des associations peuvent parfois apporter leur concours dans ce type de démarche comme l’a.s.b.l. « Caméra enfants admis » (3). Des livres offrent des pistes concrètes de réalisations en classe comme « Des médias en jeux » (80 fiches pour se jouer des médias) (4) ou encore la formation de Médiacteurs qui fournit un réservoir d’exercices important.
Dans les différents centres de la Médiathéque de la Communauté Française (5), des livres peuvent être consultés comme le « Guide pour l’éducation aux médias audio-visuels : s’initier, s’informer, se former », ou encore le plus théorique « Penser la communication » de Dominique Wolton. On peut y emprunter de nombreuses vidéos comme « Complément télé », « L’information à la télévision », « J’aime la télé » ou encore « Le journal commence à 20 h ».
Les grilles de programme peuvent aussi être examinées. Quelle proportion d’émissions ludiques ou culturelles ? A quelle heure ? Comment s’agencent les programmes ?
L’analyse d’une information à travers différents journaux télévisés se révèle riche d’enseignements : minutage, agencement des reportages, mise en évidence de certains faits, traitement différent de l’information.
Exposer le dessous des cartes
Eduquer aux médias, c’est aussi connaître les conditions politiques, techniques et économiques de son développement. Derrière les couleurs rutilantes et clinquantes des studios, sous les sourires enjôleurs des présentateurs vedettes, une mécanique du profit et de l’audimat est à l’oeuvre et une idéologie nous est vendue avec toutes les sirènes de la séduction. Dans notre monde de « transparence » et de communication, il est parfois bien difficile de connaître les ressorts qui sous-tendent la programmation de certaines émissions ou encore l’élimination de celles-ci (comme la suppression de « Turbulences » sur RTBF) et encore plus difficile de trouver une critique de cette entreprise de décervelement.
Chaque dimanche, sur France5, à 12 h 30 le journaliste Daniel Schneidermann propose ainsi « Arrêt sur images » où il aborde un sujet d’actualité comme « Berlusconi : un produit de la télé ? » ou « Reporters en campagne : tout dire ? ». Si la critique reste trop souvent onctueuse et « politiquement correcte », elle épingle cependant des « médiamensonges » et des tics médiatiques que des enseignants peuvent enregistrer et exploiter en classe. Le site (6) propose l’émission de la semaine sans montage ainsi que différentes séquences dont « la classe-télé » où des élèves analysent de façon pertinente un reportage sous toutes ses facettes.
L’A.T.A. (7) proposait jusqu’il y a peu une critique pertinente de la télévision. Son site est toujours visitable et propose l’intégralité de son travail. Le journal « Pour Lire Pas Lu » (8) décerne tous les deux mois une « Laisse d’or » au journaliste le plus assujetti aux maîtres économiques de ce monde. Sardonique et mordant : à prendre donc avec des pincettes ! Dans le même ordre de contestation de la pensée unique et de la domination des marchés, on peut consulter le site www.indymedia.be.
Après ce trop bref aperçu, nous renvoyons ci-dessous à une série de sites et d’adresses intéressants.
L’accès aux livres a répandu les idéaux des Lumières, le gavage télévisuel entraîne aujourd’hui l’à-quoi-bon-isme et la passivité : la généralisation de la télévision « digestive » risque de transformer celle-ci en un nouvel opium du peuple alors qu’elle pourrait constituer un facteur privilégié de changement. Si la « galaxie Gutenberg » a contribué à la propagation de l’élan révolutionnaire de 1789, la galaxie « audio-visuelle » pourrait devenir – si nous n’y prenons garde – le principal instrument planétaire d’abrutissement des masses. Un opium d’autant plus pernicieux qu’il serait « librement » choisi par le spectateur-consommateur-citoyen.
Des moyens
Face à ce danger, si on veut que les enseignants soient à la hauteur de cette nouvelle forme d’alphabétisation, il faut revendiquer les moyens matériels et humains dans le domaine de la formation et dans la subsidiation des organismes spécialisés, et investir prioritairement dans les classes où les élèves ont le moins accès à la culture. Sans négliger de débattre aussi sur le sens et les implications de ce terme mis à toutes les sauces : culture.
(1) Centre culturel les Grignoux a.s.b.l.
9, rue Soeurs de Hasque B-4000 Liège Belgique
tél : 32 (0) 4 222 27 78 fax : 32 (0) 4 222 31 78
site www.grignoux.be
e-mail : contact@grignoux.be
(2) Centre National (français) de Documentation Pédagogique : www.cndp.fr/tice/animpeda
(3) Caméra Enfants Admis C/O Jean-Luc Slock
cour St-Gilles, 35 à 4000 LIEGE Tél : 04.253.59.9
(4) Média Animation av. Rogier, 32 à 1030 BRUXELLES
Tél. 02/242.57.93 – [www.media-animation.be
->http://www.media-animation.be]
(5) Médiathèque de la Communauté française c/o Albert Dechambre
pl. de l’Amitié, 6 à 1160 BRUXELLES Tél.: 02.737.18.11 – www.lamediatheque.be
(6) www.france5.fr
(7) Association des Téléspectateurs Actifs www.ata.qwentes.be
(8) Bimestriel – www.plpl.org
Quelques sites et adresses supplémentaires :
www.ac-creteil.fr/avi/EDUCIMA/Accueil.htm
www.media-awareness.ca/fre : réseau d’éducation aux médias situé au Québec
www.education-medias.be
www.clemi.org
www.apte.asso.fr
www.ccac.be
www.cfwb.be/cem : Conseil de l’Education aux médias c/o Marcelle Collin, Bd Léopold II, 44 4-A131, 1 1080 BRUXELLES Tél.: 02.413.35.08
www.wanadoo.be/incit.org : information et citoyenneté C/O Vincent Legast r. de la Neuville, 70 1348 LOUVAIN-LA-NEUVE Tél.: 0498.04.02.67
www. informaction.be.tf A.S.B.L. Inform’Action, Bd des Archers, 8 – 1400 NIVELLES – Tél.: 067/21.86.56
CTV Horizon-Médias, Av. des Nerviens, 3 1040 BRUXELLES Tél.02/735.22.77
Média-Femmes-internationales, Av. Rogier, 7 1030 BRUXELLES Tél.:02/245.83.50 C.P.C.
Centre de Promotion Culturel des Equipes Populaires : rue de la Poste, 111 – 1030 BRUXELLES – Tél.: 02/640.07.87
GSARA Groupe socialiste d’Action et de réflexion sur l’audiovisuel rue du Marteau, 26 – 1210 BRUXELLES Tél.: 02/218.58.85
Arlequin Diffusion Av. des Neuf Provinces, 3/33 – 1083 BRUXELLES Tél.: 02/465.36.66
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C’était vraiment chian et très peu instructif. Merci.