Même si la plus grande prudence s’impose en matière de comparaison internationale des acquis scolaires, les résultats de l’enseignement francophone belge dans l’étude Pisa-OCDE sont par trop catastrophiques pour ne pas constituer la triste confirmation des craintes exprimées depuis de nombreuses années par divers acteurs de l’éducation, dont l’Appel pour une école démocratique.
Rappelons d’abord que l’école n’est pas toute seule. L’étroite corrélation entre origine sociale et résultats scolaires est bien connue. Or, au cours des deux dernières décennies, la Wallonie a continué de s’apauvrir par rapport à la Flandre. Il ne faut donc pas s’étonner si les résultats scolaires moyens y sont moins bons. Les inégalités sociales sont également plus fortes dans le sud du pays que dans le nord. Cela constitue sans doute un élément d’explication de la plus grande disparité des résultats des élèves en Communauté française.
Enfin, il faut souligner l’extrême précarité de l’emploi. Elle constitue l’une des caractéristiques sociologiques majeures des parents d’élèves actuels. Les espoirs d’atteindre une promotion sociale via l’école, qui avaient nourri la motivation scolaire de générations d’élèves tout au long des années 50, 60 et 70 et qui avaient ainsi soutenu la « massification » de l’enseignement, ont été largement déçus. Le discours « étudie si tu veux réussir dans la vie » n’a plus prise sur les enfants des ouvriers de Clabecq ou des pilotes de la Sabena. Là encore, l’impact est indubitablement plus grand dans le sud de notre pays que dans le nord.
Ces conditions d’enseignement objectivement difficiles auraient dû être compensées par des moyens supplémentaires. On a fait le contraire. Vingt années d’économies ont raboté les dépenses publiques d’enseignement à 5% du PIB, contre 7% en 1980. Plus de 200 milliards de pertes, que ne compenseront pas les broutilles de la St-Polycarpe. Les charges horaires des enseignants ont été augmentées, leurs salaires rabotés, ce qui n’a guère stimulé le recrutement d’enseignants compétents et motivés. Les effectifs des classes ont grandi, les heures de rattrapage, de coordination, d’accompagnement individualisé… sont passées au marteau pilon de l’austérité budgétaire. Là encore, l’inégalité nord-sud est flagrante. Premièrement parce que les mesures d’économie des années 80 (celles prises quand votre parti était au gouvernement, Monsieur Hazette) ont surtout frappé l’enseignement rénové et le réseau officiel, tous deux beaucoup plus développés en Communauté française qu’en Flandre. Ensuite parce que, durant les années 90, le verrou financier de la communautarisation a pu être assez facilement contourné en Flandre, du fait de la fusion de la Région et de la Communauté.
Mais ce n’est pas tout. Faute de moyens, on a fait du bricolage pseudo-pédagogique. Au nom de la lutte contre l’échec scolaire, on a abaissé les exigences en matière de connaissances de base, on a déstructuré les savoirs, on a demandé de réduire les devoirs à domicile et on a administrativement supprimé les redoublements en primaire puis au début du secondaire, créant ainsi les conditions idéales pour développer le véritable échec scolaire : le non-accès aux savoirs. Instituteurs et professeurs ont été poussés à faire du « ludique », de la « pédagogie du projet », à multiplier les activités diversifiées, extra-scolaires… Très bien, mais tout cela coûte du temps et de l’énergie. Or, où les prendre en période de disette, si ce n’est au détriment des apprentissages de base, si cruciaux pour la poursuite des études ?
Les nouveaux programmes de l’enseignement secondaire sont le dernier avatar de cette évolution : l’abandon total des corpus de savoirs structurés, au profit de vagues « compétences » prétendûment interdisciplinaires, mais le plus souvent vides de sens. Là encore, la Belgique francophone est tristement « en avance » sur la Flandre…
Monsieur Hazette invoque la plus grande autonomie des écoles en Flandre pour expliquer la différence des résultats. Cela ne tient pas la route. Premièrement, cette plus grande autonomie concerne seulement l’enseignement de la Communauté, largement minoritaire, voire marginal, au Nord. Deuxièmement, c’est précisément l’autonomie, jointe à la totale liberté de choix des parents, qui fait de notre enseignement un semi-marché où se creusent les inégalités entre écoles.
Reste une interrogation : pourquoi cet émoi ? Depuis des années, l’OCDE, cet organisme de contrôle du capitalisme mondial, réclame que l’on réforme les systèmes d’enseignement afin qu’ils répondent mieux aux besoins de l’économie. Dans un environnement instable et imprévisible, la transmission des savoirs doit être remplacée par l’acquisition de compétences adaptables, la régulation du système d’enseignement doit faire place à la flexibilité. Face à la dualisation du marché du travail – on dit manquer d’informaticiens, mais 60% des créations d’emplois concernent des postes à très faible niveau de qualification – l’école doit « diversifier » ses filières, ses niveaux. Enfin, devant la quête effrénée de marchés durablement rentables, le grand marché mondial des services éducatifs apparaît aux investisseurs comme le dernier Eldorado.
Moins d’école, plus de « diversité », un contexte plus favorable au développement de l’enseignement privé : voilà ce que réclament depuis dix ans l’OCDE, le FMI, la Banque Mondiale, la Commission européenne et les lobbies patronaux. N’est-ce pas exactement ce que réalise si bien la Communauté française ? Et si le classement de l’OCDE devait se lire à l’envers ?