A revendiquer, simplement, des moyens humains et matériels pour un enseignement réellement progressiste, visant une égalité de résultats, et non une illusoire égalité des chances, nous passons souvent pour des utopistes ! Par contre, que nos autorités, suivant un courant venu des Etats-Unis, vantent les vertus de l’enseignement à distance – rendu possible par les nouvelles technologies de l’information et de la communication – et annoncent l’avènement imminent d’une société de l’information, passe pour réaliste auprès du grand public ! Pourtant, au début du XXème siècle, l’Amérique avait vu ses universités se planter lamentablement dans l’enseignement à distance. L’histoire nous resservirait-elle le même plat?
Prenez l’université de Liège, par exemple. Le n° 105 de son mensuel l’annonce fièrement à la une : « Mettre au net. L’enseignement en ligne se développe au sein de l’Université. Les cours en ligne font fureur outre-Atlantique et fleurissent aussi dans certains pays d’Europe. On peut même accéder à des « open universities » qui permettent de réaliser des études complètes via le web. Dans ce contexte, l’Université a décidé de mettre en ligne des cours destinés aux étudiants de Liège. Une initiative enthousiasmante pour une nouvelle méthode d’apprentissage, complémentaire de l’enseignement ex cathedra. L’objectif est triple : améliorer la formation des étudiants, augmenter le nombre de réussites et assurer une flexibilité de l’enseignement indispensable à la formation continuée. » Après cela, que demande encore le peuple ? Même si le promoteur du projet reconnaît volontiers les limites de l’enseignement à distance (EAD) – les expériences montrent que l’efficacité maximale est atteinte en combinant des moments présentiels et des activités à distance -, et avoue être pris dans un jeu de concurrence entre universités – jeu initié aux Etats-Unis, puis relayé en Angleterre, en Hollande et en Allemagne -, c’est quand même l’enthousiasme qui l’emporte. Un enthousiasme que nous ne partageons pas. Comprenons-nous bien : nous ne nions pas les possibilités de circulation du savoir offertes par les NTIC, mais nous craignons l’usage qui en sera fait. A ce titre, il peut être salutaire de relire un article de David F. Noble [Historien, université York, Toronto]] , publié dans le Monde diplomatique d’avril 2000 [[Le Monde diplomatique offre sur son site l’ensemble de ses articles publiés depuis deux ans : [http://www.monde-diplomatique.fr/ ]] .
Que nous raconte donc Noble ? Avant de s’installer à l’université, l’EAD a d’abord été une entreprise commerciale. En effet, ce sont des établissements privés et à but lucratif qui, à la fin du 19ème siècle, ont créé des cours par correspondance à destination d’un public à la recherche de qualifications pour le commerce et l’industrie.
Une débâcle américaine
dans les années ’20
Ces entreprises prétendaient offrir une instruction personnalisée de qualité. Mais pas moins de 50 à 80 % des frais de scolarité étaient en fait investis dans des campagnes de marketing, avec des démarcheurs payés à la commission. Pas besoin de faire un dessin : la recherche du profit, qui plus est sans aucune réglementation, devait immanquablement prendre le dessus, au détriment des étudiants qui souvent payaient l’entièreté ou une part importante de leur formation dès la signature du contrat, avec clause de non remboursement en cas d’abandon prématuré (plus de 90 % des étudiants échouaient avant terme, surtout à cause de l’isolement inhérent à ce genre d’études). En d’autres mots, la stratégie était aussi cynique que rentable : concentrer l’effort sur le recrutement, empocher l’argent et faire en sorte qu’une majorité d’étudiants décrochent, puisqu’une fois décrochés, l’école conservait l’argent sans plus faire le moindre frais d’instruction. C’était d’autant plus facile que les cours étaient médiocres, les enseignants étant surexploités, payés à la pièce, dans des conditions empêchant tout travail pédagogique de qualité.
Parallèlement aux entreprises privées, les universités ont suivi le mouvement. Mettant en avant un souci de démocratisation de l’enseignement et espérant camper elles aussi sur ce marché, elles sont allées au désastre. En effet, même si elles ne poursuivaient pas de but lucratif, elles devaient au moins s’autofinancer. Or, l’EAD coûtait plus cher que le traditionnel, en raison des frais d’administration qu’il engendrait. Les universités ont dès lors dû à leur tour rationaliser les coûts en standardisant leurs produits et en précarisant la situation d’enseignants rétribués à l’acte. Résultat : cours dégradés, taux d’échec à peu près égal aux firmes commerciales, spirale menant les universités d’Etat à « la course à l’argent du décrochage ». Sans compter une dévalorisation du prestige de l’université dans son ensemble. Tant et si bien qu’à la fin des années ’20 elles se sont attiré une volée de critiques qui ont conduit à l’abandon des réclames les plus mensongères. Sans abandonner totalement les cours par correspondance, les universités se sont limitées à des programmes beaucoup moins ambitieux et soigneusement séparés du campus. Pour quelques dizaines d’années, du moins.
EAD, le retour !
Et puis, patatras ! Les chantres modernes du télé-enseignement repassent le même plat. Une révolution serait en marche qui va transformer le paysage éducatif. Pourtant, derrière les mêmes discours-écrans plus ou moins candides ou cyniques – démocratisation, souplesse, prise en compte des différences entre les étudiants -, on retrouve dans le menu d’aujourd’hui les mêmes ingrédients toxiques que par le passé, en plus pimenté d’ailleurs. D’abord, l’élément commercial : les universités ne cherchent même plus à se distancer de leurs rivaux commerciaux, elles recherchent frénétiquement des partenariats avec eux, sous toutes les formes possibles, pourvu que ça rapporte [[Columbia, par exemple, signe un accord avec la start-up UNext, spécialisée dans l’industrie de l’éducation, permettant à celle-ci d’utiliser le logo de l’université en échange d’une participation aux affaires (spéculation, stock-options, etc). Columbia, toujours, a un contrat avec une autre société qui remanie ses cours d’art et de science selon le principe suivant : les enseignants élaborent le matériel pédagogique, des acteurs professionnels le présentent. ]] . Ensuite, on risque d’assister à une standardisation des « cours en boîtes de conserve », répondant mieux à la logique industrielle. Enfin, l’exploitation des enseignants atteint des sommets : mal payés et surmenés, rémunérés au cours, sans sécurité d’emploi, ils abandonnent, à l’embauche, tout droit d’auteur sur le matériel pédagogique qu’ils produiront.
Il existe bien quelques différences entre l’envoûtement actuel pour l’enseignement par internet et la débâcle passée. Mais rien de rassurant. Bien au contraire. Les initiatives commerciales en lignes ont, dès le début, pénétré profondément au coeur même de l’université. Les dépenses d’infrastructures sont bien plus lourdes (ndlr : là, on connaît déjà les bénéficiaires, quoiqu’il arrive : fabricants et marchands de matériel informatique, sociétés de téléphonie). Mais surtout, l’appétit des marchands est sans limite, global, mondial, et l’Organisation Mondiale du Commerce, on le sait, cherche à abattre toutes les entraves au commerce international de ce que les milieux d’affaires n’hésitent plus à appeler des « marchandises éducatives ».
> Enseignement à distance
après avoir lu quelques articles sur ce site je me demande si ça vaut vraiment la peine de dépenser une énergie folle à éssayer de contrer le parti-pris libéral de nos dirigants politiques. ils ont tellement d’assurance qu’ils se permettent d’ignorer les critiques qui leurs sont faites.
selon moi, la plus belle critique de l’enseignement officiel, c’est l’existence d’un réseau d’universités populaires comme il en existe en france.
pourquoi n’existent-elles pas en belgique ?