En Flandre, les « methodescholen » (1) ont le vent en poupe. D’une part, il y a le mouvement Freinet. D’autre part il y a les methodescholen indépendantes, affiliées à la FOPEM, qui chapeaute 17 écoles dont De Buurt. En outre, il y a des écoles qui ne s’affichent pas comme methodescholen mais qui pratiquent des formes d’enseignement similaires.
Ludo Merckx est institeur dans un « 3ème groupe de vie », autre nom pour les 4émes, 5émes et 6émes années, à « De Buurt », une école alternative dans un quartier populaire gantois. De Buurt a démarré dans un quartier ouvrier comme école de devoirs pour enfants défavorisés. Ensuite l’initiative s’est développée en école-projet expérimentale dans l’enseignement libre non confessionnel. Ludo suit pour le moment une formation en deux ans d’éducation des enseignants à la formation musicale.
D’où vient cet intérêt pour « l’enseignement à méthodes » ?
Dans chaque réseau, il y a des « expériences » et des orientations vers des méthodes que l’on ne retrouvait auparavant presque que dans les methodescholen. C’est vrai aussi pour l’enseignement catholique. Et on retrouve dans presque chaque école fondamentale des enseignants qui s’inspirent de fragments qu’ils connaissent de cet enseignement à méthodes. Moi-même, je constate que dans les écoles normales, il y a du respect pour ce qui se passe dans nos écoles. Ca se remarque aux étudiants qui s’orientent chez nous pour un stage et aux visites annuelles à notre école. Nous-mêmes, nous insistons pour créer des contacts entre les enseignants de nos methodescholen et ceux des autres réseaux. Par exemple, il y a des contacts entre l’école de Dirk et la mienne. Je trouve que nous pouvons apprendre l’un de l’autre. Je me sens parfois petit quand je vois comment des enseignants d’écoles ordinaires peuvent me montrer comment ils travaillent. Il y a là également des gens qui font de l’excellent travail. On a l’avantage que dans une methodeschool, on a souvent plus de liberté dans la manière de travailler. C’est positif que nos méthodes retiennent l’attention et que certains éléments fassent leur chemin dans chaque réseau et dans chaque école.
Je vois que dans tout l’enseignement fondamental, on renonce de plus en plus à une approche purement cognitive des enfants. Ce n’est pas seulement la tête qu’il faut remplir de connaissances, mais il faut aussi agir sur le cœur (les émotions), les jambes (le « moteur »), le philosophique, etc. C’est ce que l’enseignement ordinaire trouve dans nos methodescholen. C’est pourquoi ils regardent aussi vers nous et ils puisent dans nos expériences de cercles de discussion, méthodes de participation, implication des enfants dans l’approche de la matière, attention pour les relations sociales entre enfants, etc.
Quelle évolution vois-tu dans l’enseignement Freinet en Flandre ?
Chez Freinet, les notions abordées avaient toutes leur intérêt et utilité. Les progressistes du monde de l’enseignement de cette époque plaçaient seulement toutes ces choses dans un autre cadre que maintenant. C’est là que se situe la différence et l’explication du fait que maintenant le mot « Freinet » se retrouve si facilement sur les lèvres, bien plus qu’il y a à peu près 20 ans. Des gens comme Freinet voyaient la société comme une société de classes. Ils voyaient l’inégalité sociale et visaient avec leurs méthodes progressistes à ce que les enfants des classes inférieures puissent s’émanciper, qu’ils puissent étudier pour devenir d’excellents organisateurs, prendre de l’assurance, étudier collectivement pour pouvoir agir. Les enfants devaient renforcer leurs capacités pour pouvoir plus tard s’attaquer à l’injustice, combattre les inégalités.
Ces prises de position osées et ces objectifs sous-jacents sont supplantés. Beaucoup d’enseignants des écoles Freinet actuelles ne mettent plus la société capitaliste en question et se réconcilient avec ses structures. Ils adoptent une attitude « critique » comme on dit. Les temps ont changé. Cette réconciliation avec les structures et cette vision mitigée sur le rôle de l’enseignement sous le capitalisme annule la rupture avec l’enseignement ordinaire. Cette évolution arrive à point pour le capitalisme : dans les entreprises, on a aussi besoin de travailleurs flexibles, des travailleurs qui d’un moment à l’autre, peuvent plonger dans une autre aventure et qui doivent avoir des compétences multiples. Ca me donne un âpre sentiment.
On entend souvent la critique : les methodescholen sont élitistes. Est-ce exact ?
Il y a des écoles qui utilisent l’étiquette « Freinet » pour s’adresser à un « marché » déterminé. Il y a un marché pour les methodescholen. Il y a des gens qui y vont consciemment. La critique d’élitisme est souvent mais pas toujours juste. De Buurt a l’avantage d’être implantée dans un quartier ouvrier. Elle a été fondée par des gens qui voulaient consciemment travailler dans un quartier populaire. Elle ne recrute que des enfants du voisinage, càd du quart monde. Nous voulons relier des projets d’ensemble à ce qui vit dans le quartier. Par exemple, un immeuble s’est effondré. Tous les enfants l’ont vu. Il faut en tenir compte. Le nombre d’enfants est limité à 100. Ainsi, il y a encore de la place pour les réfugiés qui viendront dans le courant de l’année. Nous voulons consciemment avoir un lien avec la réalité d’aujourd’hui.
Est-ce que les parents paient généralement ?
Chez nous non. Nous attendons que les parents nous aident à nettoyer. Il y a une pression financière sur l’école. On a vite des frais avec les projets : invitations, déplacements, etc. Par qui se fait-on rembourser ? Il y avait un projet de trois jours de randonnée avec camping. Nous avions posé comme condition que tout le monde vienne, donc ça devait rester extrêmement bon marché. Nous avons fait une recherche de tentes et de lits de camp. On a trouvé un terrain gratuit sur la Semois. Finalement, le prix fut de 600 francs par enfant. Comme ce coût a dépassé les dépenses habituelles, nous avons du demander un soutien aux parents. C’est une question difficile : l’école veut offrir un enseignement gratuit, mais on ne peut pas assurer des besoins directs sans cette demande d’argent aux parents.
L’enseignement à méthodes est souvent associé au laisser faire, « étudier naturellement », etc. Ne méconnaît-il pas le rôle du prof ?
Il y avait à l’époque de la mise sur pied de telles écoles, beaucoup d’initiatives antiautoritaires. Elles exprimaient ce qui vivait fortement : une aversion pour le système éducatif qui, tout comme la société, était fortement hiérarchisé. Je pense que ce sentiment antiautoritaire a pour beaucoup disparu. Cela baignait aussi dans une certaine naïveté.
C’est ainsi que dans nos écoles, on était à la recherche d’une façon de vivre honnête et que l’enseignant n’obtenait pas d’autorité parce qu’il n’était jamais vraiment enseignant. On a discuté des problèmes. Des plans de travail avec les enfants ont été réalisés. Les enfants sont pris au sérieux. C’est évidemment plus que normal ! D’un autre côté, ce réseau demande beaucoup d’engagement à l’enseignant. Il ne considère pas le processus d’apprentissage de l’extérieur, il ne se sent pas en dehors. Il ne suit pas seulement les événements, mais il prend une part active dans le processus. Il considère l’enfant dans ce qu’il fait, il excite son attention. Il investit tout dans ce travail qui peut être vu comme un défi permanent : intervenir dans l’apprentissage. L’instituteur se place entre l’enfant et la matière. Il donne aussi de nouvelles impulsions pour la structuration des processus d’apprentissage. Dans ce sens, nous avons souvent beaucoup à apprendre des « non methodescholen ».
La méthode du projet est-elle une importante forme de travail ?
A partir de ce qui vit dans le groupe, de ce que nous voyons et de ce qui nous émeut, nous atteignons les contenus à étudier. Nous les traduisons sous une forme (le projet) à partir de laquelle ils vont travailler de manière intense durant des semaines pour obtenir un résultat très concret (un produit, un résultat final). Cette approche rend l’étude très intense et efficace.
Cette année, je constate que beaucoup d’enfants ont peu de confiance en eux, qu’ils ont peur de leurs moyens : « Je ne peux pas faire ça ». Ils ne croient pas qu’ils peuvent faire beaucoup. Ils ont besoin de l’expérimenter : « Je peux aussi faire quelque chose ». On écoute alors les propositions des enfants à partir de ce point de vue.
Dans ma classe, un groupe voulait par exemple étudier les Romains. D’autres enfants voulaient faire des acrobaties. Nous avons traduit cela en projet : une forme de théâtre en mouvement : un spectacle romain. Ca devait être le point d’orgue. Ils observaient des matchs de catch à la TV et rassemblaient de la documentation sur les Romains. Ils apprenaient par exemple la société esclavagiste avec les contradictions entre les esclaves et les patriciens, mais aussi que l’esclavage existe encore de nos jours. Comme enseignant, on élargit leur horizon, on amène des thèmes liés à la société, mais en partant de l’apport des enfants, de ce qui les captive. Ils ne trouvent pas tout d’eux-mêmes.
Dans la vie réelle aussi, on doit constamment résoudre des problèmes (un déménagement, une construction par ex). Les projets sont délimités et très concrets. Le suspense est intense. Le résultat est clairement mesurable : est-ce une réussite ? Le tout est naturellement d’apprendre. Nous enchaînons constamment avec tout ce qui arrive pendant de tels processus, nous notons quels problèmes nous éprouvons, quels moments d’apprentissage doivent être construits si nous voulons ensuite réaliser un projet plus large.
Comment vois-tu l’acquisition des socles de compétence à partir du point de vue et du travail des methodescholen ?
Nous nous soucions de savoir si, comme dans une autre école, les enfants ont bien acquis les connaissances de base suffisantes pour entamer sans problème l’enseignement secondaire. Nous n’hypothéquons pas leur avenir. Nous faisons suffisamment d’enquêtes dans les écoles secondaires et chez nos ex élèves et parents pour savoir ce qu’ils trouvent difficile, ce qu’ils réussissent bien, etc. Ca nous apprend aussi beaucoup. Nous savons ce qui doit être atteint à la fin du parcours. Il y a d’autres manières que la nôtre pour atteindre les socles de compétence. Nous sentons que les enfants sont bien plus impliqués par notre projet d’enseignement.
Après chaque projet, vient alors une période d’élargissement où des difficultés spécifiques sont abordées. Les compétences de base en calcul, les règles d’orthographe sont régulièrement abordées via d’autres systèmes à côté des projets.
Cependant, vous ne vous retrouvez pas tout à fait dans les socles de compétence.
D’une part, les socles de compétence proviennent d’une conception courante dans la société et ils sont reliés à des exigences (économiques) d’aujourd’hui. Ils demandent du respect pour les institutions (OTAN, Justice, police, force publique, etc). Je ne peux pas m’y soumettre car à partir du rôle qu’elles jouent, il ne faut pas perdre de vue les intérêts qui se cachent derrière. En suivant aveuglément les socles de compétence, on ne s’attaquera jamais aux origines de l’injustice sociale de ce système. Ces socles proviennent aussi des attentes de l’OCDE en matière d’enseignement.
D’autre part, il y a aussi dans les socles de compétence des possibilités plus grandes qu’avant de travailler de manière plus large : ils contiennent plus que jamais des descriptions intéressantes à propos de la langue maternelle et du calcul. D’autres domaines peuvent aussi être développés, par exemple la formation musicale.
L’école travaille sur fond d’inégalités sociales. L’enseignement à méthodes peut-il infléchir cela ?
Notre société est basée sur l’inégalité sociale. Elle joue aussi un rôle à l’école. Les enfants issus des classes sociales inférieures ont beaucoup de difficultés. Ceux ayant une meilleure position sociale peuvent accéder à plus de documents. Par exemple, les uns ont recueilli 10 pages sur internet, les autres rien. Ainsi, les premiers risquent d’être mieux vus. Les devoirs à domicile des uns sont faits. Les autres ne les ont pas fait trois fois par semaine. Comme enseignant, on est impuissant contre ça. Ce sont des phénomènes qu’on retrouve partout, methodeschool ou pas. L’enseignement ne peut pas éliminer cette inégalité et cette frustration. Il ne change pas la société. Avec d’autres méthodes, on peut avoir une influence positive sur les enfants. L’enseignement peut faire en sorte que les enfants se sentent mieux, qu’ils acquièrent de l’intelligence, qu’ils soient mieux armés pour la société.
Comment réagissez-vous comme methodeschool par rapport aux problèmes d’apprentissage ?
Je ne vais certainement pas affirmer qu’à ce niveau, nous sommes meilleurs qu’une autre école. Je peux dire que beaucoup d’enfants sont heureux de venir user leur pantalon dans une école comme la nôtre. Ils sont bien accueillis et se sentent considérés comme une personne à part entière. Ils sont accompagnés. Nous nous préoccupons de comment ils vivent, ce qu’ils apprennent à la maison, quelles sont leur émotions. Cette approche aide beaucoup les enfants. S’ils peuvent pleurer à propos de la mort de leur chien ou raconter les problèmes de séparation, etc, alors on crée de meilleures conditions d’apprentissage. D’un autre côté, je dis parfois carrément que je ne peux pas « accompagner » certains enfants comme je voudrais et je ne me sens pas bien non plus. Nous pouvons nous aider mutuellement, mais parfois je peux décider que tel ou tel enfant serait peut-être mieux dans une école avec plus de structures (par exemple, certains enfants ayant de grands problèmes de concentration). Mais ce qui est un plus dans nos écoles, c’est que les plus engagés des enseignants cherchent à savoir ce qui se passe avec tel enfant et dans la vie quotidienne de sa famille.
La Ministre Vanderpoorten plaide pour moins de connaissances et plus de compétences. Comment te positionnes-tu ?
C’est pour moi une évolution qui provient du monde de l’entreprise. Là, on ne peut pas prévoir quelles compétences et connaissances il faudra avoir dans x années pour être efficient. Une connaissance pure est vite dépassée ou n’est plus d’application. Les techniques et les méthodes de nos écoles deviennent soudain intéressantes, mais à partir d’une tout autre perspective que celle que nous leur donnons. Il y a toujours plus de machines et de moyens sur le marché (nouvelles technologies) qui rendent les connaissances plus rapidement disponibles. Donc, on dit souvent que ceux qui veulent se présenter sur le marché de l’emploi ne doivent pas recevoir un contrat fixe, qu’ils doivent être préparés à « étudier en permanence » et que le diplôme qu’ils ont obtenu ne signifiera plus rien dans quelques années. Ils doivent surtout fonctionner mentalement de manière différente. Les esprits doivent aussi être « dressés » différemment : chacun doit être lié à « son entreprise » via toutes sortes de structures de concertation, il doit avoir le sentiment de participation totale, de pouvoir apporter du bien être à travers des remarques, initiatives, etc, d’avoir son mot à dire dans la production, l’organisation du travail, etc. Les chefs d’entreprise espèrent ainsi dissimuler la véritable contradiction entre les travailleurs et les patrons et renforcer de manière plus sûre leur position de force par rapport à leurs « collaborateurs ». Les syndicats deviendraient alors superflus puisque chacun pourrait s’exprimer individuellement. Je vis cela comme une dangereuse évolution dans laquelle les gens ordinaires se font confisquer ce qu’ils ont obtenu par la lutte au siècle dernier : leur représentation collective par les syndicats. L’individualisation se retourne contre l’homme de la rue.
L’enseignement doit-il s’occuper de ce qui ne va pas dans la société ?
Nous sommes en effet souvent un centre d’accueil, un centre social. Dans une société où les apparences cachent beaucoup de pauvreté, de stress, de conditions de travail difficiles et de relations difficiles, on attend de l’école qu’elle canalise les tensions. Les attentes envers les enseignants sont grandes, mais sans refinancement, nous ne pouvons pas réaliser cela. Sans soutien extérieur, l’attractivité de l’enseignement va certainement disparaître. Sur le terrain – aussi dans mon école – je vois que chacun fait de son mieux. Les enfant sont écoutés et aidés dans nos écoles. Mais après, ils tombent souvent dans le trou créé par la société. Alors ça reste difficile de se réaliser soi-même !
Methodeschool De Buurt, Kartuzierlaan 20, 9000 Gent, tél : 09/225.06.44