Du 21 au 25 août, l’Institut Coopératif de l’Ecole Moderne – Pédagogie Freinet (ICEM), a tenu son 45ème congrès international à Rennes. A cette occasion, près de 900 militants du mouvement Freinet de France et d’ailleurs (quelques Belges étaient présents aussi) se sont penchés sur les relations entre la réflexion pédagogique et les menaces de libéralisation de l’enseignement. Comment innover sans se faire piéger ? Le texte ci-dessous a été rédigé, à cette occasion, par Jean-Marie Fouquer, président de l’ICEM.
Prendre l’école populaire comme thème de notre congrès de l’an 2000, c’est marquer une continuité avec l’histoire de notre mouvement et dessiner l’avenir de l’école du XXIe siècle.
Le libéralisme que certains présentaient comme l’avenir inéluctable de notre société a fait ses preuves. La société française est, en Europe, une des plus riches du monde mais aussi celle au sein de laquelle les inégalités sociales sont les plus grandes et ne cessent d’augmenter. Des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour dire qu’un autre monde est possible. N’est-ce pas là ce que disait déjà notre Charte de l’École Moderne ?
La situation de l’enfance en France se dégrade. Les jeunes des couches sociales touchées par le libéralisme subissent de plein fouet les effets de la crise. Le nombre d’enfants en danger ne cesse d’augmenter. Les éducateurs et les citoyens que nous sommes peuvent-ils rester sans réaction lorsque des milliers d’enfants et d’adolescents ne connaissent de la vie que pauvreté, précarité, galère, exploitation, violence ?
De nombreuses entreprises s’intéressent à l’école. Des groupes de pression industriels, la Commission européenne tout comme l’OCDE prônent une transformation de l’école. Celle-ci doit fournir une main d’œuvre mieux adaptée aux injonctions du monde économique et financier. Elle doit davantage diversifier ses filières, devenir plus flexible et se diriger vers un réseau d’établissements autonomes en forte concurrence mutuelle. Qu’en sera-t-il alors du service public d’éducation si nous laissons faire ?
A la lumière de ces projets, la charte du XXIe siècle avec ses aides éducateurs et ses comités éducatifs locaux, le collège de l’an 2000 et la réforme des lycées sont-ils le cheval de Troie du libéralisme à l’école ou une façon de s’opposer à la mainmise libérale sur l’éducation ?
Le débat autour de l’école suscite à nouveau une intense production éditoriale. L’école publique est la cible d’attaques d’une rare violence : “ le scandale ”, “ la barbarie”, “ l’horreur ”, “ la crise ” de l’Éducation nationale. Une telle abondance d’écrits ne peut que nous interroger. L’école a pourtant réussi dans deux domaines : elle a assuré l’accès de tous à l’école jusqu’à 16 ans et, si on en croit les études, a permis une élévation globale du niveau des jeunes. Il est vrai que si la “ massification ” est réelle, la démocratisation n’a pas suivi. La réussite scolaire est toujours liée à l’origine sociale. Faut-il voir dans ces critiques faites à l’école française la volonté de l’adapter à une société dominée par le libéralisme ? Faut-il y voir plutôt l’ambition de trouver des solutions nouvelles permettant enfin la réussite de tous et non plus seulement celle de ceux que la naissance a favorisés ?
Des critiques virulentes, venant parfois de milieux progressistes, mettent en cause la pédagogie. Celle-ci est-elle la source de tous les maux, la responsable des échecs persistants des jeunes issus des milieux défavorisés ? Est-ce donc en «décontextualisant» les apprentissages, selon la terminologie à la mode, en revenant à la transmission des savoirs, en développant la didactique que les jeunes des milieux défavorisés pourront se les approprier ?
Faut-il prôner l’élitisme, même républicain ? Les discours autour de l’effort, des savoirs et de l’instruction sont-ils autre chose que des prêches inutiles ? Aurions-nous à rougir de vouloir être des éducateurs, des pédagogues ? Est-ce une erreur d’affirmer le droit, la nécessité d’ancrer les apprentissages sur l’expression, la communication, l’affectivité des enfants ? Est-ce desservir les enfants qu’individualiser les apprentissages en donnant une chance de plus à chacun de trouver le chemin de la réussite ?
Pour beaucoup d’élèves d’aujourd’hui, l’école est totalement étrangère à leur univers. Sa langue, ses valeurs, ses thèmes sont de plus en plus éloignés de leurs préoccupations. Pourtant, c’est à l’école que la société demande de jouer un rôle de plus en plus grand de maintien de la paix sociale. Comment demander à ces jeunes de s’intégrer et à quoi, quand tout ce qu’ils connaissent leur dit qu’il s’agit d’une illusion ? Est-ce en enseignant l’instruction civique qu’on comblera l’écart social et culturel qui se creuse entre une partie de la jeunesse et ses enseignants ? Comment enseigner la morale dans une société où la loi du plus fort ou du plus riche prime bien souvent sur toute autre ? N’est-ce pas plutôt en vivant, dès l’école, l’entraide, la solidarité, la prise de décisions collectives, l’auto évaluation, l’autonomie et la responsabilité qu’ils découvriront d’autres valeurs et d’autres rapports sociaux ?
En montrant comment, tous les jours, dans nos classes, loin des projecteurs, nous inventons l’école populaire de demain, notre congrès témoignera de nos luttes permanentes contre toutes les formes d’exclusion et d’inégalité.
Lieux de parole, lieux d’expression, lieux d’échanges, lieux de coopération de confrontation et de communication mettront en valeur nos pratiques de classe.
De mille et une façons différentes, nos chantiers, nos secteurs, nos groupes de travail et nos groupes départementaux y feront la démonstration du dynamisme de notre École Moderne.
C’est à un congrès international de l’École Moderne, appuyé sur les pratiques des milliers d’éducateurs du mouvement Freinet et tourné résolument vers l’avenir que nous donnons rendez-vous à tous ceux qui ont fait leure la cause des enfants.
Jean-Marie Fouquer
Président de l’ICEM – Pédagogie Freinet